et féodale du lien d’homme à homme. Ainsi M. Yardeni a, voici quelques années, attiré l’attention sur la puissance de cette relation qui, malgré toutes les avanies, continuait à lier l’émigré à son souverain d’origine.[2] Ce n’est pas parce qu’un régnicole avait fui le royaume de France et s’était installé dans un autre pays que, de son propre point de vue, il cessait pour autant d’être le sujet du Très Chrétien et de rester Français. Or, dans ce contexte et depuis le milieu du 16e siècle, la conjonction de deux faits a contribué à faire de la France une terre d’émigration massive: la politique religieuse du roi et le développement démographique. Que le royaume de France ait été alors le pays le plus peuplé d’Europe avec sa vingtaine de millions d’habitants sous Louis XIV, le fait est assez bien établi. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ait été alors démographiquement le plus dense, étant incontestablement le pays européen le plus vaste, à l’exception de la Russie. Toutefois avec ses 34 h/km2, il n’était guère dépassé que par les Pays-Bas et l’Italie. Si la population française a stagné au cours du 17e siècle c’est que les crises de subsistance ont joué comme un mécanisme de régulation démographique; ce dernier est assez connu pour qu’il soit inutile d’y revenir. Dans les années 1680, la conjonction de la surcharge démographique et d’une politique rigoureuse à l’égard des huguenots expliquent la vaste émigration déjà engagée, selon une intensité variable, depuis deux décennies et qui atteignit son paroxysme dans les années 1685 et suivantes.
LA RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES
Depuis les années 1660, l’attitude de Louis XIV envers ses sujets protestants s’est durcie et, depuis 1680, une série d’interdictions est venue les frapper. Il ne m’appartient pas d’examiner ici les causes et modalités de cette politique.[3] En revanche, il nous intéresse de constater que cette orientation réamorça l’émigration religieuse des huguenots qui, après avoir connu de hautes eaux durant les guerres de religion, avait considérablement décru voire même cessé avec Henri IV et Louis XIII, soit sous le régime de l’édit de Nantes. Mais, dans les années 1670, des protestants français, parmi les plus lucides, prirent le chemin de l’exil. Ainsi, à Berlin, la centaine de familles huguenotes déjà établies dans la ville obtenaient en 1672 l’autorisation de former une communauté religieuse séparée des Allemands.[4]