puissantes parentés. Elle agit d’abord comme entrepreneur de main-d’œuvre. C’est à ce titre, me semble-t-il, que les études sur les migrations, qui ne prennent pas en compte la structure des relations sociales dans les villages de départ, se privent d’un élément essentiel à la compréhension des marchés du travail urbain comme à celle des villages caractérisés par l’importance des mobilités. Le second corollaire renvoie aux philosophies dont se réclament nombre de travaux sur les sociétés paysannes. Un premier courant a étendu à l’ensemble des paysanneries occidentales le modèle d’éthique que Chayanov a proposé pour les paysanneries russes. Chaque cellule familiale est pensée comme un ensemble à la fois consommateur et producteur, et le rapport entre les deux fonctions change avec le déroulement du cycle familial. Le but du paysan serait, dans ce contexte, d’essayer de maintenir en équilibre le rapport entre consommation et production et la migration devient un des moyens de parvenir à l’équilibre dans les périodes de forte poussée de consommation.[20] Ainsi, les paysans qui sont d’abord des consommateurs ne deviennent producteurs qu’en fonction de leurs besoins. En ce sens, la migration est un phénomène passif, une économie de l’absence. Elle ne peut être pensée comme une volonté délibérée d’accumuler des richesses: au paysan, les habits du capitalisme sont déniés. Les courants de pensées libéraux ont emprunté d’autres chemins mais les conclusions sont similaires. Ils ont insisté sur le rôle économique et affectif de la propriété foncière pour expliquer l’attachement des hommes à leur pays natal. «Ils ne bougent que contraints et forcés; ils répugnent à s’expatrier en dépit des difficultés qu’ils éprouvent à trouver un établissement sur place.»[21] L’accent mis sur la sédentarité et l’attachement au lopin de terre assigne alors aux migrations saisonnières un rôle de conservation de la situation antérieure. Ces analyses renvoient l’écho de l’utilisation des sociétés montagnardes par les administrateurs royaux qui ont forgé, dès le 17e siècle, la fable politique du montagnard fidèle à sa famille, à sa terre et à son roi[22] et celui, plus tardif, de la glorification des valeurs paysannes contre un monde ouvrier déraciné et revendicatif.[23]
À la fois contre le modèle libéral et le modèle chayanovien des sociétés paysannes, l’analyse des migrations montagnardes - peut-être parce que derrière elles se profile la dette -, offre d’autres connotations: le travail au loin entraîne les migrants hors de l’autosubsistance et dans une économie du risque. Il dessine des carrières dont l’achèvement se marque par l’entrée