Dans un autre ordre d’idée, l’habitude de l’écriture est incarnée par la tradition des Transitons, véritable journal tenu par un habitant sur les principaux événements survenus dans le village ou même dans la vallée. Au cours des 17e et 18e siècles, période majeure de leur rédaction, plusieurs auteurs, souvent anonymes, se sont ainsi succédés. Cette pratique de l’écrit n’est pourtant pas réservée à quelques individus. Elle s’inscrit matériellement sur tous les objets du quotidien, puisque chacun aime à inscrire son nom sur les objets qu’il sculpte, sur le linteau de sa porte, puisque l’on marque des aphorismes et des pensées morales sur les meubles pour éduquer les générations suivantes. Il en va de même des apophtegmes que l’on fait écrire en français ou en latin sur les cadrans solaires.
C’est aussi la possession relativement diffuse et précoce d’ouvrages imprimés qui ne sont pas le seul fait des prêtres ou des protestants. On a pu également recenser dans quelques familles de véritables bibliothèques où apparaissent des ouvrages autres que religieux, même si ceux-ci constituent l’essentiel.[43] C’est enfin le goût pour les pièces de théâtre, empruntées au répertoire classique et jouées à la veillée, ce qui surprend tellement les quelques voyageurs s’aventurant au 19e siècle dans ce pays reculé.[44]
À travers ces quelques exemples, on perçoit que l’intérêt pour la culture écrite va bien au-delà des savoirs élémentaires. La poursuite des études, via le séminaire, mais aussi les collèges d’Embrun ou de Briançon, est la règle dans les familles les plus aisées. Certains vont même jusqu’à faire le voyage en Allemagne ou en Angleterre pour acquérir les compétences à la maîtrise du commerce international et à celle de la concurrence.
Signe fort de cet attachement à l’écrit, la mémoire collective conserve le souvenir de cette avance en matière d’alphabétisation. Signe de reconnaissance, signe identitaire d’autant plus essentiel que le développement de l’école républicaine a fait disparaître la spécificité de ces hautes vallées au même titre que la Révolution avait supprimé l’autonomie, les privilèges et l’avance démocratique que représentaient les Escartons.
On peut bien entendu s’interroger sur les raisons de cette alphabétisation précoce. Dans le cadre de cette courte présentation, prétendre apporter des réponses tient de la gageure. On se contentera d’apporter très ponctuellement quelques réflexions dans la perspective de cette communication.
Reprenons les explications classiques. En premier lieu sont toujours mis en évidence la longueur des hivers et le temps à occuper, alors que l’activité agricole est réduite par la neige et le froid. D’autres régions connaissent